Histoire du Tribunal fédéral suisse

Présentation rédigée par M. Tobias Phan, stagiaire au Tribunal fédéral, sous la supervision de la Juge fédérale Florence Aubry Girardin, Présidente de la IIe Cour de droit public.

Histoire du Tribunal fédéral

 

Cette contribution vise à présenter l'histoire du Tribunal fédéral suisse. Celle-ci suit l'évolution de l'histoire suisse, en particulier la construction de l’État fédéral moderne. La présentation est structurée en quatre parties correspondant aux quatre périodes qui ont marqué le développement du Tribunal fédéral

 

Grande salle du Tribunal fédéral

 

 

Avant 1848

 

Il existait sur le territoire de la Suisse actuelle, entre 1291 et 1798, un réseau d'alliances d'entités souveraines, les cantons. Ce réseau d'alliances, sans gouvernement central, formait l'ancienne Confédération suisse.

 

En 1798, les troupes de la France révolutionnaire ont envahi une partie des cantons de l'ancienne Confédération et entrainé la chute de celle-ci. La France a octroyé à l'ancienne Confédération une nouvelle Constitution adaptée de la Constitution française de 1795. Celle-ci a transformé l'ancienne Confédération en État national unitaire, où les cantons n'étaient plus que des arrondissements administratifs. Ce nouvel État, qui a pris le nom de République helvétique, a connu une existence éphémère. En été 1802, un soulèvement dans plusieurs cantons contre la République helvétique a entrainé la capitulation du gouvernement central. Après une nouvelle intervention armée française, Napoléon Bonaparte a reconnu que la Suisse était "constituée fédérale par la nature". Bonaparte a alors octroyé à la Suisse, en 1803, une nouvelle Constitution, réinstituant la souveraineté étendue des cantons. La Constitution de 1803 est restée en vigueur jusqu'à la fin de la domination napoléonienne en 1813. Elle a été remplacée par la Constitution de 1815 adoptée par les cantons. Le Congrès de Vienne se déroulait alors, réorganisant l'Europe après les guerres de la Révolution et l'hégémonie napoléonienne. La Constitution de 1815 assurait surtout la liberté des cantons. Elle est demeurée en vigueur jusqu'en 1848.

 

Durant l'époque de l'ancienne Confédération suisse, il n'existait aucune juridiction centralisée. Si des conflits entre les cantons éclataient, ceux-ci pouvaient être résolus en faisant appel à des tribunaux arbitraux. Durant la République helvétique (soit de 1798 à 1803), un Tribunal suprême a été institué. Ce Tribunal suprême, organe de l’État unitaire, était composé d'un juge par canton et d'un Président. Il possédait des compétences en matière pénale et de responsabilité des autorités, et fonctionnait comme Cour de cassation. De 1803 à 1848, il n'y eut plus de Tribunal suprême. Une renaissance des tribunaux arbitraux a vu le jour pour résoudre les prétentions et contestations s'élevant entre cantons.

 

De 1848 à 1874

 

En 1848 est née la Suisse moderne. La Suisse s'est transformée, avec l'adoption de la Constitution de 1848, en un État fédéral. Celui-ci était constitué de cantons et d'un pouvoir central fédéral. Les cantons exerçaient tous les droits qui n'étaient pas délégués au pouvoir fédéral. Le droit adopté par le pouvoir fédéral coexistait avec le droit adopté par les cantons et était supérieur au droit de ceux-ci. C'est la Constitution qui attribuait au pouvoir fédéral, à la place ou parallèlement aux cantons, la compétence de réglementer tel ou tel domaine du droit.

Avec la création de l’État fédéral suisse, un Tribunal fédéral a été institué. Bien que portant le même nom que le Tribunal fédéral sous sa forme actuelle, celui-ci en était totalement éloigné tant du point de vue de son organisation que de ses compétences.

 

Le Tribunal fédéral n'était pas une institution permanente et n'avait pas de siège fixe. Il se réunissait une fois par an en session ordinaire à Berne, la capitale de la Suisse. Hormis cette session, le Tribunal fédéral n'était convoqué que lorsqu'une affaire l'exigeait. Les lieux de réunion étaient alors déterminés par son président. Le Tribunal fédéral connaissait principalement des affaires en tant que première instance, par le biais de procès directs. Un jury était prévu pour les affaires pénales traitées par l'ancienne Cour d'assises du Tribunal fédéral.

Le Tribunal fédéral comptait onze juges et onze suppléants. Ceux-ci étaient élus pour une durée de trois ans, renouvelable, par l'Assemblée fédérale (le Parlement fédéral; pouvoir législatif). L'indépendance judiciaire étant très relative, huit des onze premiers juges fédéraux étaient simultanément membres du Parlement. Seuls les membres du Conseil fédéral (le Gouvernement fédéral; pouvoir exécutif) ne pouvaient en même temps faire partie du Tribunal fédéral.

 

La Constitution fédérale de 1848 a institué un "Tribunal fédéral pour l'administration de la justice en matière fédérale". Le Tribunal fédéral était donc en principe compétent pour connaître uniquement des litiges mettant en cause le droit adopté par le pouvoir fédéral, et non le droit des différents cantons. En matière pénale, il était par exemple compétent pour les cas de haute trahison envers la Confédération, de révolte ou de violence contre les autorités fédérales, ou de crimes et délits contre le droit des gens. En matière civile, il pouvait notamment connaître de certaines affaires en droit matrimonial et contractuel. Les violations des droits constitutionnels individuels par les autorités cantonales pouvaient faire l'objet de recours en première instance auprès du Gouvernement et en seconde instance auprès du Parlement. Le Tribunal fédéral n'était saisi des affaires en lien avec la violation de droits constitutionnels que si celles-ci lui étaient expressément transmises par le Parlement.

Il existait en 1848 une certaine méfiance à l'égard de la fonction de juge et une hostilité à attribuer au Tribunal fédéral des pouvoirs de décision. Toutes les questions politiques étaient soustraites à la compétence du Tribunal fédéral. Le législateur n'avait prévu de compétences du Tribunal fédéral que dans les domaines où le risque était limité qu'il se voie confronté à des décisions déplaisantes. A titre d'exemple, la question de l'expropriation, considérée comme relevant de la matière civile, était tranchée par le Parlement ou le Gouvernement, seul le montant de l'indemnisation étant de la compétence du Tribunal fédéral.

 

De 1874 à 1999

 

En 1874, une nouvelle Constitution a été adoptée, remplaçant l'ancienne Constitution de 1848.

 

La Constitution de 1874 a apporté d'importantes modifications à l'organisation et aux compétences du Tribunal fédéral. Le Tribunal fédéral est devenu un tribunal permanent, dont le siège a été fixé à Lausanne et non à Berne, la capitale. Ce choix a été dicté par la volonté de séparer géographiquement le troisième pouvoir du gouvernement et du législateur, dans l'intérêt de l'indépendance du Tribunal fédéral. Le Tribunal fédéral était composé de neuf juges fédéraux et d'autant de juges suppléants, élus par le Parlement. La durée de fonction, renouvelable, des membres du Tribunal fédéral a été augmentée de trois à six ans, pour donner une certaine fixité au corps judiciaire. La première élection nécessita une vingtaine de tours de scrutin. La nouvelle Constitution prévoyait que les membres du Tribunal fédéral ne pouvaient, pendant la durée de leurs fonctions, revêtir aucun autre emploi soit au service de l’État fédéral, soit dans un canton, ni suivre d'autre carrière ou exercer de profession.

 

La Constitution de 1874 a prévu en particulier la compétence du Tribunal fédéral de connaître des recours à l'encontre des actes des cantons pour violation des droits des citoyens garantis par la Constitution fédérale et les constitutions cantonales. C'est surtout en cela que le rôle du Tribunal fédéral a été modifié par rapport à ses anciennes fonctions. Le Tribunal fédéral pouvait être saisi directement, sans passage obligé par le Parlement. La loi d'organisation judiciaire de 1874 laissa cependant dans la compétence du Gouvernement ou du Parlement les recours concernant de nombreux droits fondamentaux des citoyens.

 

En matière de droit administratif, la Constitution de 1874 réservait les contestations administratives à la compétence du Gouvernement et du Parlement.

 

L'accroissement des compétences du Tribunal fédéral s'est poursuivie après 1874 du fait notamment de l'élargissement des compétences législatives du pouvoir fédéral.

 

En matière de droit privé, le domaine de compétence du Tribunal fédéral a en particulier été étendu par l'adoption, en 1883, du Code fédéral des obligations. En 1892, le Tribunal fédéral a été institué autorité suprême de recours en matière de poursuite pour dettes et faillites, puis en 1912, avec l'entrée en vigueur du Code civil suisse, autorité de recours pour tous les litiges en matière civile (droits des personnes, de la famille, des successions, droits réels). En matière de droit pénal, le Code pénal suisse a été adopté en 1942.

En 1918, la loi fédérale sur l'assurance en cas de maladie et d'accidents est entrée en vigueur. Celle-ci prévoyait la création d'un Tribunal fédéral des assurances. Fonctionnant à l'origine comme juridiction indépendante du Tribunal fédéral, il a été intégré au Tribunal fédéral en 2007

 

La compétence de connaître des recours contre les violations de tous les droits fondamentaux garantis par la Constitution a été avec le temps transférée au Tribunal fédéral. Entre 1875 et la Première Guerre mondiale, le Tribunal fédéral s'est occupé avant tout de recours fondés sur l'article sur l'égalité (art. 4 de la Constitution 1874). Le Tribunal fédéral tira de cette disposition notamment l'interdiction du déni de justice, l'interdiction de l'arbitraire, le droit d'être entendu, le principe de la légalité des sanctions pénales, la présomption d’innocence en matière pénale et le principe de la proportionnalité de toutes les restrictions que l’État apporte aux libertés. La jurisprudence du Tribunal fédéral s'est montrée très créative en déduisant d'une seule disposition des droits constitutionnels modernes.

 

Il a fallu attendre l'année 1929 pour que le Tribunal fédéral se voie confier la juridiction administrative, notamment en relation avec les redevances de droit public, la tenue des registres publics, les concessions et autorisations. Ces compétences concernaient les recours contre les décisions de dernière instance des cantons et de certaines autorités fédérales. Ce n'est qu'en 1969 qu'une clause générale de compétence, quoiqu'avec de nombreuses exceptions, a été introduite. Le législateur a par la suite continuellement renforcé les compétences du Tribunal fédéral en matière administrative. Parallèlement à l'unification de la législation, l'organisation et la capacité de travail du Tribunal fédéral ont constamment dû être adaptées.

 

De 1999 à nos jours

 

La Constitution de 1874 a été remplacée par la Constitution adoptée en 1999, qui correspond à la Constitution actuelle.

 

Le Tribunal fédéral compte aujourd'hui 40 juges ordinaires et 19 juges suppléants et suppléantes, élus pour une durée de six ans, renouvelable, par le Parlement. Tribunal unitaire en 1874, le Tribunal fédéral est à présent composé de 8 Cours, dont deux se trouvent à Lucerne.

 

Sauf cas exceptionnels de procès direct, le Tribunal fédéral est principalement une autorité de recours. Il statue sur recours contre les décisions rendues par les tribunaux fédéraux de première instance et par les autorités judiciaires supérieures des cantons. Il a toutefois aussi la compétence de contrôler la constitutionnalité des lois cantonales indépendamment de tout conflit (contrôle abstrait).

 

La Constitution suisse actuelle prévoit que le Tribunal fédéral est l'autorité judiciaire suprême du pays. Il veille à l'application uniforme du droit fédéral. En principe, sa compétence s’étend à tous les domaines juridiques: droit civil et droit pénal, droit des poursuites et faillites, droit public et droit administratif. Le Tribunal fédéral est également le garant de la protection des droits constitutionnels des citoyens et des citoyennes. Le Tribunal fédéral partage cependant sa fonction juridictionnelle suprême dans une mesure minime avec le Parlement et le Gouvernement. Le Parlement valide notamment les initiatives formulées par le peuple suisse visant à modifier la Constitution. Le Gouvernement est désigné autorité de recours dans des domaines considérés comme politiquement sensibles, tels que la sûreté intérieure ou extérieure du pays.

 

Le Tribunal fédéral n'est pas une instance d'appel, en ce sens qu'il ne revoit pas les faits à la base d'une affaire, mais limite son examen aux questions de droit. Le Tribunal fédéral possède un pouvoir réformatoire des arrêts qui sont attaqués devant lui. Il statue donc lui-même sur le fond de la cause. Ce n'est qu'en tant qu'exception qu'il rend une décision de nature cassatoire en renvoyant une affaire à l'autorité précédente.

 

 

 

Tribunal fédéral, parc Mon Repos à Lausanne, bâti par les architectes Prince, Béguin et Laverrière et inauguré en 1927. Sur le fronton figure la devise suivante: Lex – Justitia – Pax.

 

 

 

Références :

Chaix François, Art. 188 Cst., in: Martenet Vincent / Dubey Jacques (édit.), Commentaire romand Constitution fédérale, Lausanne / Fribourg 2021.

Donzallaz Yves, Art. 1 LTF, in: Aubry Girardin Florence / Donzallaz Yves / Denys Christian / Bovey Grégory / Frésard Jean-Maurice (édit.), Commentaire de la LTF, 3e éd., Berne 2022.

Donzallaz Yves, Art. 9 LTF, in: Aubry Girardin Florence / Donzallaz Yves / Denys Christian / Bovey Grégory / Frésard Jean-Maurice (édit.), Commentaire de la LTF, 3e éd., Berne 2022.

Egloff Lorenzo, Le management du pouvoir judiciaire à l'exemple du Tribunal fédéral suisse, thèse, Berne 2022.

Errass Christoph, Geschichte des Bundesgerichts, in: Niggli Marcel Alexander / Uebersax Peter / Wiprächtiger Hans / Kneubühler Lorenz, Bundesgerichtsgesetz, 3e éd., Bâle 2018.

Kölz Alfred, Histoire constitutionnelle de la Suisse moderne, traduction par Béatrice et Jean-François Aubert, vol. 2, Berne 2013.

Schneider Eduard, 150 und 125 Jahre Bundesgericht, Berne 1998.

Seferovic Goran, Das Schweizerische Bundesgericht 1848-1874: die Bundesgerichtsbarkeit im frühen Bundesstaat, thèse, Zurich 2010.

Seferovic Goran, Art. 188 Cst., in: Waldmann Bernhard / Belser Eva Maria / Epiney Astrid (édit.), Basler Kommentar Bundesverfassung, Fribourg 2015.

 

Sources législatives principales:

Constitution fédérale de la Confédération suisse du 12 septembre 1848.

Constitution fédérale de la Confédération suisse du 29 mai 1974 (RS 101).

Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (RS 101).

Loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (RS 173.110).

 

Sources consultables sur internet aux adresses suivantes:

https://www.fedlex.admin.ch/fr/home?news_period=last_day&news_pageNb=1&news_order=desc&news_itemsPerPage=10.

 

Sources internet:

Dictionnaire historique de la Suisse, https://hls-dhs-dss.ch/fr/.

Tribunal fédéral, Historique du Tribunal fédéral, https://www.bger.ch/fr/index/federal/federal-inherit-template/federal-status/federal-geschichte.htm.

 

 

 

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