M. Abdramane Traoré (Mali) Prix de l’AHJUCAF 2023. Mme Youmna Makhlouf (Liban) mention spéciale

Le jury de l’édition 2023 du Prix de l’AHJUCAF pour la promotion du droit s'est réuni le 29 juin 2023 à la Cour supérieure de justice de Luxembourg. Parmi 23 dossiers de qualité émanant de candidats originaires de 12 pays différents, ceux de M. Abdramane Traoré (Mali) et de Mme Youmna Makhlouf (Liban) se sont dégagés.
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À l’unanimité, le Prix 2023 de l’AHJUCAF pour la promotion du droit a été décerné à M. Abdramane Traoré pour sa thèse : « Les coutumes et la justice indigène au Soudan français (1892-1946) », réalisée sous la direction de M. Eric de Mari, professeur à l’Université de Montpellier, soutenue à l’Université de Montpellier le 10 décembre 2021.

M. Traoré a un parcours pluridisciplinaire en histoire et droit, commencé à l'Université de Bamako (Mali), continué en master 2 à l'Université du Sahel de Dakar (Sénégal). Il a ensuite obtenu un double master 2 d'histoire et de droit à l'Université de Reims Champagne Ardenne. 

Qualifié en 2023 aux fonctions de maître de conférence par le CNU, il est actuellement attaché temporaire d'enseignement et de recherche à l'Université Sorbonne Paris Nord.

Le lauréat bénéficiera d’une aide de l'AHJUCAF d’un montant de 3.000 euros pour l'édition de sa thèse.

Résumé de la thèse de M. Abdramane Traoré : « Les coutumes et la justice indigène au Soudan français (1892-1946) »

Fruit d'une documentation basée essentiellement sur des archives coloniales, cette thèse consiste à déterminer dans quelles proportions les coutumes du Soudan français ont pu être altérées sous l'influence de la colonisation et à analyser les processus mis en place pour y parvenir.

Le colonisateur français a initialement proclamé le principe du respect des coutumes indigènes : dans ses interdits, il se limite alors à des coutumes dont la seule pensée provoque l'exécration de l'européen ; c'est-à-dire celles qui s'opposent frontalement au respect de la vie, de la liberté et de la dignité des individus. Le colonisateur oscille entre un souhait d'afficher une modération de son empreinte et une dynamique d'acculturation juridique. La justice indigène, considérée comme l'un des meilleurs moyens pouvant conduire les indigènes à un niveau de civilisation jugé supérieur, intègre alors progressivement les règles du droit métropolitain tout en tenant compte d'une certaine "mentalité primitive" des autochtones. Par la suite, l'autorité coloniale s'autorise un lent et complexe processus de mise en forme des coutumes indigènes tendant progressivement vers une intégration des principes essentiels de la civilisation française. Ce processus est également étroitement lié aux circonstances et intérêts en cause. Dans cette continuelle et longue transformation des coutumes, l'activité des juridictions indigènes a constitué un élément déterminant.

Plan de la thèse

Document : Circulaire du 7 mai 1937 du Gouverneur Général de l'A.O.F. sur les mariages indigènes

Circulaire sur les mariages indigènes.pdf

Appréciation du jury sur la recherche de M. Traoré 

La thèse d’Abramane Traoré sur les coutumes et la justice indigène au Soudan français entre 1892, date de la création de cette colonie, et 1946, année qui marque l’abolition de la justice indigène par le colonisateur, est remarquable à plusieurs titres. S’appuyant sur un impressionnant travail d’archives, réalisé tant en France qu’au Mali et au Sénégal, elle fournit tout d’abord la première représentation globale de l’impact qu’ont eu l’établissement et la progression de l’ordre colonial français et son droit étatique sur le droit coutumier tel que pratiqué au Soudan français. Elle convainc également par son caractère exhaustif, recouvrant des aspects de droit pénal, civil, commercial et religieux, tout comme par sa clarté et sa précision, qui permettent de se faire une image très nette des réalités du terrain. Comme d’autres études de qualité sur l’histoire du droit colonial, elle souligne une fois de plus l’ambiguïté fondamentale de ce dernier, tiraillé constamment entre l’affirmation de l’idée, à la fois humanitaire et autoritaire, de la « civilisation », et la nécessité de composer avec les sociétés locales ou leurs élites afin de ne pas compromettre le maintien de la domination coloniale, fondamentalement précaire. Les développements de l’auteur sur l’esclavage constituent un exemple particulièrement saisissant à cet égard, comblant de surcroît les lacunes laissées par un certain nombre de travaux antérieurs. Tel est également le cas des chapitres dédiés à la manière dont les autorités coloniales et les acteurs locaux accommodèrent et adaptèrent certaines coutumes locales aux exigences de l’ordre public colonial français, notamment à travers la pratique jurisprudentielle, dont l’examen constitue un autre point fort de la thèse. Il situe son auteur à la pointe de la recherche actuelle en histoire du droit colonial, marquée par un dépassement des perspectives eurocentristes vers la prise en compte du rôle des acteurs locaux dans la production, mais aussi le détournement et la subversion, de ce produit hybride que fut le droit colonial. La prise en compte de l’influence des textes internationaux et de la rivalité entre puissances coloniales sur la pratique juridique coloniale figure également dans la thèse d’Abramane Traoré, quoique de manière sans doute plus discrète. De ce fait, cette dernière pourrait avoir vocation à venir rejoindre les travaux de recherche soulignant la dimension internationale et transnationale du droit colonial. Enfin, comme l’auteur de la thèse l’a lui-même souligné, malgré les tentatives successives de les éradiquer, aussi bien avant qu’après l’indépendance, les coutumes « ont résisté dans les faits », tant au Mali qu’au Sénégal, ce qui rend ses travaux pertinents même pour les juristes s’intéressant surtout au droit pratiqué aujourd’hui. 

 

 

Le jury a attribué à l’unanimité une mention spéciale à Mme Youmna Makhlouf pour sa thèse : « L'identité de la personne en droit libanais. Étude de droit privé », réalisée à l’Université Paris II Panthéon-Assas sous la direction de Mme le professeur Léna Gannagé, soutenue à Paris le 16 décembre 2021. 

Liens relatifs à la thèse :  
-    https://www.theses.fr/2021PA020084
-    https://www.sudoc.fr/262354802

Mme Makhlouf a obtenu un master 1 de droit privé à l'Université Saint-Joseph de Beyrouth (Liban) puis un master 2 à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.  

Elle est avocat, maître de conférences à l'Université Saint-Joseph de Beyrouth et chercheur associé au Centre d'études des droits du monde arabe. Elle est l'auteur de nombreuses publications.

La mention spéciale lui permettra de recevoir une aide de l'AHJUCAF d’un montant de 3.000 euros pour l'édition de sa thèse.

Résumé de la thèse de Mme Youmna Makhlouf : « L'identité de la personne en droit libanais. Étude de droit privé »,

L’identité de la personne en droit libanais désigne tout d’abord l’identité civile, synonyme d’identification et d’individualisation de la personne. Mais cette identité a toujours intégré un élément supplémentaire fondé sur l’identité communautaire (c’est-à-dire l’appartenance à une communauté religieuse) qui révèle les rapports complexes entretenus entre l’individu et le groupe. 
Cette dualité des identités impose de préciser la nature des rapports qu’elles entretiennent. Les interactions entre ces identités multiples sont parfois paisibles. Mais leurs relations sont souvent conflictuelles, notamment lorsque l’identité individuelle est aux prises avec l’identité collective. 
L’identité communautaire reconnue provoque ainsi nécessairement des frictions dès lors qu’elle s’impose dans certaines circonstances à la personne qui cherche à s’en libérer. Imprégnée d’une logique communautaire et particulariste, l’identité communautaire s’oppose à une identité universaliste, relayée par les droits fondamentaux et se définissant par une logique individuelle indépendante des différences religieuses. Les communautés religieuses adoptent parfois des pratiques qui contredisent les droits que l’individu tire de sa qualité de citoyen. 
Dans cette perspective, la recherche des voies de la coexistence entre les différentes identités s’impose. Ces voies se sont fondées jusqu’à présent sur la volonté individuelle. L’individu qui ne s’aligne pas sur les pratiques du groupe devrait ainsi avoir le droit de sortir de sa communauté religieuse ou de recourir à des actes juridiques afin d’échapper aux contraintes qui pourraient résulter de l’application des droits religieux. Cette voie reste toutefois insuffisante. Outre les critiques qui peuvent être adressées à ses fondements, elle repose sur l’illusion d’une volonté abstraite et puissante dont l’effectivité est toutefois démentie par le poids de la réalité sociologique. Le recours à la volonté individuelle s’accompagne ainsi d’un coût qui n’est pas à la portée de tous les individus. C’est dans cette perspective que l’intervention de l’État s’impose. Cette intervention sera ainsi précisée à la lumière du principe de neutralité de l’État tel qu’il découle de l’article 9 de la Constitution libanaise.
 

Introduction et sommaire de la thèse

 

Le jury du Prix de l’AHJUCAF 2023 était composé de :

- M. Sourou Innocent AVOGNON, Président de la chambre judiciaire de la Cour suprême du Bénin, représentant M. Victor Dassi ADOSSOU, Président de la Cour suprême du Bénin, président de l’AHJUCAF. M. AVOGNON a été élu président du jury

- Mme Florence AUBRY GIRARDIN, Présidente de la IIe Cour de droit public du Tribunal fédéral de Suisse, vice-présidente de l’AHJUCAF 

- M. Jean-Paul JEAN, Président de chambre honoraire à la Cour de cassation de France, Secrétaire général de l’AHJUCAF, rapporteur 

- Mme Elise ZAHI, Attachée de programme à la Direction des Affaires politiques et de la gouvernance démocratique, représentant l’Organisation internationale de la Francophonie 

- M. Michel ERPELDING, Chercheur à l'Université du Luxembourg

- M. Fabrice HOURQUEBIE, Professeur de droit public à l’Université de Bordeaux

- M. El Hadji Malick SOW (en visioconférence), Président de chambre honoraire, chargé de mission régional de l’AHJUCAF, représentant M. Cheikh Ahmed Tidiane COULIBALY, Président de la Cour suprême du Sénégal, vice-président de l’AHJUCAF 

Procès-verbal de délibération du prix AHJUCAF 2023.pdf